Camion-benne - première partie

Développement et évolution du camion-benne hors route
Première partie

Avant le camion
Avec la révolution industrielle, en plus de la construction de chemins de fer, vint une demande accrue en charbon et en minerai. La pelle mécanique, inventée au dix-neuvième siècle, permettait d'excaver tous ces matériaux mais les moyens de les transporter demeuraient limités. Si on exclut la charrette et la traction animale, le seul moyen existant à l'époque était le train : des voies ferrées devaient être installées entre les sites d'excavation et de déchargement et le matériel était alors chargé dans des wagons. Cette méthode, quoique peu flexible mais efficace dans certaines conditions, est très coûteuse et l'adhérence limitée des locomotives nécessite des pentes douces et des courbes à grands rayons.

 
La mine de charbon de Sandaoling en Chine, utilisait toujours des locomotives à vapeur au vingt-et-unième siècle. Elles remorquent des trains de wagons tombereaux à déchargement latéral pour transporter le charbon entre les sites d'extraction et de traitement primaire.

Les premiers camions-bennes
Il faudra attendre le début du vingtième siècle pour que la généralisation du moteur à combustion interne apporte des alternatives au train. Des tracteurs chenillés, lents mais capables de remorquer de lourdes charges sur des sols meubles furent d'abord employés pour tirer des tombereaux.

Une pelle mécanique Insley charge un tombereau, dont la fabrication remonte à l'époque du cheval de trait, tiré par un tracteur Holt de cinq tonnes. Plusieurs de ces tombereaux étaient généralement attelés au tracteur, compensant en partie sa lenteur. Le bois fut remplacé par l'acier dans la fabrication des tombereaux au début du vingtième siècle. Notez les leviers utilisés par le second opérateur pour ouvrir et fermer la trappe ventrale.

Vinrent ensuite les premiers camions routiers qui faisaient piètre figure lorsque soumis aux rigueurs et aux abus de l'excavation à grande échelle. La benne, la suspension et le châssis étaient particulièrement malmenés lorsque ces camions étaient chargés par une excavatrice. Ils s'enlisaient aussi fréquemment sur les routes non pavées.


La mine de cuivre United Verde en Arizona, aux États-Unis, fut pendant plusieurs années la plus grosse exploitation du genre au monde. Des camions semi-chenillés Linn équipés de benne à déchargement latéral furent employés durant les années 1920. À défaut d'être rapides, ces camions possèdent une excellente traction. Notez le peu d'attention que les manufacturiers accordaient au confort de l'opérateur.

En 1931, le fabricant américain Mack conçut le modèle AP, une version plus costaude et renforcée du modèle AC pour les applications où la rudesse de la tâche excédait grandement la capacité des camions routiers.

Cet extrait d'un film documentaire de 1957 sur la construction du Massachusetts Turnpike démontre bien la rudesse du travail des camions-bennes (cliquez ici pour revoir l'extrait).

Ce Mack AP de 1932 a été construit spécialement pour le chantier de Boulder Dam (rebaptisé plus tard Hoover Dam) au Nevada. Notez les chaînes qui entrainent les roues arrière.

En 1934, l'Euclid Road Machinery développa le modèle 2ZW, aussi appelé Trac-Truk, à cause des arêtes optionnelles pouvant être installées sur les roues arrière afin d'augmenter la traction. À la différence du Mack AP, l'Euclid 2ZW était le premier camion-benne conçu et construit spécialement pour supporter la rudesse des applications hors routes.


Un Euclid 2ZW de 1934, le premier camion-benne conçu spécialement pour les application hors route. Il possède un moteur à essence Waukesha 6SRK d'une puissance de 100 chevaux vapeur et peut transporter une charge de 10 tonnes.
 
Un camion-benne Euclid 49FD construit en 1947. Il peut transporter une charge de 15 tonnes.

Un Mack FCSW de 1943 équipé d'un moteur diesel Cummins. Tout comme le Mack AP montré plus haut, les roues arrière sont entraînées par chaînes.

International Harvester ajouta le modèle 65 à son catalogue en 1957. Ici, un Payhauler 65B, d'une capacité de 20 tonnes.

Les besoins en minerai et les chantiers de grande envergure firent grossir rapidement les camions-bennes après la seconde Guerre Mondiale. La demande excédait d'ailleurs les capacités techniques de l'époque. Les moteurs, transmissions et pneus alors disponibles n'étaient pas assez gros et robustes pour les besoins des manufacturiers. Euclid contourna le problème en utilisant deux groupes moteurs-transmissions sur un même châssis. À la différence d'une transmission manuelle classique qui possède généralement deux arbres sur lesquels sont montés les engrenages, les servos-transmissions développées par Allison comportent un système d'engrenage à planétaire et utilisent un convertisseur de couple à la place de l'embrayage. Ces transmissions permettent de changer facilement de rapport sans utiliser de pédale d'embrayage et sans relâcher l'accélérateur. En 1949, Euclid développa le camion 1FFD. Il était équipé de deux moteurs Detroit Diesel 6-71, chacun entrainant une transmission Allison via un convertisseur de couple. Chacune des transmissions entrainait un des deux essieux arrière du camion. Les transmissions à convertisseur de couple permettaient de changer de rapport en utilisant un seul levier de vitesse sans avoir à se soucier du synchronisme des deux groupes motopropulseurs. À l'origine, le modèle 1FFD avait une capacité de 34 tonnes, ce qui en faisait la plus grosse machine du genre.

À la demande de la firme Western Contracting de Sioux City, en Iowa, Euclid conçut le modèle 1LLD, d'une capacité de 50 tonnes et comportant deux moteurs Cummins NHRS-600 d'une puissance combinée de 600 chevaux vapeur. On voit ici un extrait d'une vidéo promotionnelle produite Marion Power Shovel Company traitant de l'extraction du minerai de cuivre. On y voit une flotte de camions Euclid, dont un 1LLD faisant marche arrière vers le concasseur pour décharger (Cliquez ici pour revoir l'extrait).

Tout comme le 1FFD, ce camion Euclid R-40 est équipé de deux groupes motopropulseurs montés côte à côte pour une puissance combinée de 470 chevaux vapeur. Introduit en 1957, ce modèle a une capacité de 40 tonnes.


En 1958, Western Contracting fit modifier un camion 1LLD de sa flotte pour en faire un tracteur qui fut attelé à une remorque spécialement fabriquée. Les moteurs d'origine furent remplacés par une paire de moteurs Cummins NRTO-6-BI d'une puissance combinée de 750 chevaux vapeur. L'ensemble, d'une capacité de 150 tonnes, fut baptisé le Western 80. Le camion fut modifié à nouveau en 1960, avant d''être envoyé à la mine de cuivre Bingham Canyon de la Kennecott Copper. Ses moteurs furent à nouveau remplacés, par deux moteurs Detroit Diesel 12V71 d'une puissance combinée de 850 chevaux vapeur (Cliquez ici pour revoir l'extrait).



International Harvester a introduit le camion Payhauler quatre roues motrices en 1964. La charge est uniformément répartie sur ses huit pneus. Ce camion avait des aptitudes tout terrain hors pair. On voit ici un Payhauler 330 capable de transporter une charge de 43 tonnes. 


La firme Letourneau-Westinghouse, qui sera rebaptisée Westinghouse Air Brake Company (WABCo) en 1962, a commercialisé le modèle LW-30 au Chicago Road Show en 1957. Il s'agissait du premier modèle de la série de camions-bennes Haulpak. Jusqu'ici, les camions-bennes conçus pour les applications hors route ressemblaient encore beaucoup à leurs congénères routiers. Ralph Kress, l'ingénieur qui a mis au point le LW-30, a développé une série d'innovations qui fit suivre aux camions hors route une courbe évolutive complètement différente de celle des camions routiers. Le Letourneau-Westinghouse LW-30 était supporté par un châssis tubulaire qui incorporait les réservoirs à carburant et à air comprimé. Le LW-30 fut la première machine du genre à utiliser un système de suspension équipé d'amortisseurs oléo-gazeux qui permettent un plus grand débattement et offrent un meilleur amortissement des impacts que les suspensions à lames classiques. L'amortisseur oléo-gazeux, révolutionnaire à l'époque, est aujourd'hui utilisé par tous les manufacturiers de camions lourds hors route. La benne du LW-30 était aussi révolutionnaire : il s'agissait d'une benne en V dont le fond était incliné vers l'avant du camion. Cette configuration abaisse le centre de gravité du camion car environ dix pour cent du chargement se trouve sous le niveau du plancher d'une benne conventionnelle. Cette configuration est toujours utilisée de nos jours.

Ici, deux camions WABCo d'une capacité d'environ 30 tonnes à l'œuvre. Notez l'inclinaison du plancher de la benne, comparée à celle des camions montrés précédemment.


Une autre avancée importante dans l'évolution du camion lourd hors route fut le développement de la propulsion électrique. Ici, plutôt que d'utiliser une boîte de vitesse mécanique, un arbre d'entrainement et un différentiel, le moteur diesel entraine un générateur. Le courant produit fait tourner des moteurs électriques qui sont montés à l'intérieur du bâti d'essieu. Ce système fut développé par Robert G. Letourneau durant les années 1950. La propulsion électrique est principalement utilisée sur les camions d'une capacité de plus de 200 tonnes. Il n'existe pas, à l'heure actuelle, de consensus sur la meilleure méthode de propulsion.

Cet extrait nous montre un camion Letourneau TR-60, le premier camion-benne équipé d'une transmission diesel-électrique. Équipé d'un moteur Cummins NRTO-6 développant 335 chevaux vapeur et pouvant transporter une charge de 65 tonnes, il possédait aussi des perches pour s'alimenter via une caténaire installée entre la mine et le concasseur. La puissance totale des moteurs électriques contenus dans le moyeu de chacune des roues, lorsqu'ils sont alimentés par la caténaire, peut atteindre 1600 chevaux vapeur. Un seul TR-60 fut construit. Il fut employé pendant plusieurs années pour l'Anaconda Company dans le Montana. Le camion est aujourd'hui exposé au World Museum of Mining à Butte, dans le Montana (cliquez ici pour revoir l'extrait).

Cette publicité datant de 1977, donne un aperçu de la gamme de produits fabriqués par Terex. Le Terex Titan 33-19, dans la benne duquel le golfeur Jack Nicklaus frappe une balle, a détenu le record du plus gros camion pendant plus de vingt-cinq ans. Il pouvait transporter une charge de 350 tonnes et était mû par un moteur diesel EMD 16V645E4 développant 3300 chevaux vapeur, qui entrainait un alternateur EMD AR10-D14, qui alimentait quatre moteurs électriques entrainant chacune des quatre roues arrière. Un seul Terex 33-19 fut fabriqué en 1974. Il servit dans une mine de fer en Californie de 1975 à 1978. Il fut ensuite employé dans une mine de charbon en Colombie-Britanique au Canada. Le camion fut sauvé de la ferraille en 1991 et est maintenant l'ornement principal d'un parc de la ville canadienne de Sparwood, en Colombie-Britanique.
 
C'est le Caterpillar 797, introduit en 1998, qui égala et éventuellement battit le record du Terex 33-19. Ici, un 797B déchargeant environ 360 tonnes de sable bitumineux. Il est mû par un moteur 24 cylindres Caterpillar 3524B EUI développant 3370 chevaux vapeur. Fait intéressant, le Caterpillar 797 utilise un groupe motopropulseur conventionnel comportant une boîte de vitesse mécanique.


Lors de l'écriture de ce texte, c'est le modèle 75710 du manufacturier russe Belaz qui détient le record du plus gros camion-benne. Il a une capacité de 450 tonnes, possède deux moteurs MTU 16V4000 d'une puissance combinée de 4600 chevaux vapeur qui entraînent chacun un alternateur produisant le courant pour faire tourner quatre moteurs de traction entrainant chacune des quatre roues du camion. Notez que les quatre roues sont directrices, réduisant le rayon de braquage.

À l'heure actuelle, les camions de configuration standard (un essieu directeur à l'avant équipé de pneus simples et un essieu moteur à l'arrière équipé de pneus doubles) semblent avoir atteint leur taille maximale avec une capacité d'environ 400 tonnes. La taille de ces camions, qui sont transportés en pièces détachées et assemblés là où ils seront utilisés, est limitée par la taille des pneus. Il s'agit en effet de la seule composante du camion qui ne peut être scindée. Étant transportés par trains ou par camions routiers, les pneus doivent emprunter tunnels et ponts jusqu'au site d'exploitation, ce qui dicte leur taille maximale.

La configuration roues/essieux des camions-bennes est restée presque inchangée depuis plus de 100 ans. Inspiré du train de roulement des transporteurs modulaires automoteurs, ce camion WTW220E développé par la firme chinoise Wuhan Machine & Equipment Company Ltd propose une solution innovatrice à la contrainte des pneus. Plutôt que d'utiliser six pneus de grande taille montés sur deux essieux, ce camion est supporté par huit essieux directeurs, chacun munis de deux pneus de plus petite taille. Toutes les roues sont motrices. Cette configuration a l'avantage de réduire le rayon de braquage du camion et de réduire la friction des pneus dans les courbes. En cas de crevaison, un essieu peut aussi être relevé, permettant au camion de se rendre par lui-même au garage. Le WTW220E possède deux moteurs Cummins KTA38 qui développent une puissance combinée de 2400 chevaux vapeur et peut transporter une charge de 220 tonnes.


Depuis 2016, la firme Komatsu offre l'Innovative Autonomous Haulage Vehicle : un camion robotisé destiné aux mines à ciel ouvert. Notez qu'il ne possède pas de cabine, que le moteur est installé sous la benne au centre du châssis et que les quatre roues sont motrices et directrices. Ce camion est équipé d'un moteur de 2700 chevaux vapeur et peut transporter une charge de 230 tonnes. L'Innovative Autonomous Haulage Vehicle fonctionne aussi bien dans un sens que dans l'autre. Une fois chargé, il peut se rendre directement au point de déchargement et revenir sans faire demi-tour.

Le tombereau à déchargement ventral
Pour les applications où le matériel transporté est peu dense et ne contient pas de grosse pierre et où le camion ne rencontrera pas de pente forte sur son parcours, certains exploitants optent pour le tombereau à déchargement ventral. Il s'agit généralement d'une remorque dont le fond s'ouvre pour vider son chargement. Elle est remorquée par un tracteur de décapeuse ou par un camion similaire à ceux vus ci-haut sur lequel est installé une sellette d'attelage à la place de la benne. Cette configuration permet d'augmenter la quantité de matériel transportée par chaque camion. Certains manufacturiers ont aussi conçus des tombereaux automoteurs.

Ici, un tombereau Euclid, possiblement un modèle DT, dont la fabrication remonte aux années 1930. À 22:01, le tombereau est attelé à un tracteur Caterpillar 50 pour ensuite être chargé par une excavatrice Bucyrus-Erie 15B. Notez le levier à rochet pour fermer la trappe (cliquez ici pour revoir l'extrait).

Euclid a ajouté ce modèle de tombereau à son catalogue durant les années 1940. Celui-ci a une capacité d'environ 20 tonnes. Notez le mécanisme d'ouverture et de fermeture de la benne, actionné par la roue de la remorque.

Ici, un tracteur Caterpillar DW10 équipé d'une remorque tombereau. Les trappes de la benne sont commandées par un système de manœuvre à câble.

Une flotte de tombereaux Euclid à l'œuvre en Alaska. Notez le court rayon de braquage de ces machines.

Un tombereau équipé d'un tracteur Caterpillar.

La firme Philippi-Hagenbuch conçoit et fabrique des remorques tombereaux. On voit ici un modèle compartimenté et muni d'une lame pour niveler le matériel lors du déchargement.

Fondée par le fils de Ralph Kress, Ted, en 1965, Kress Corporation conçoit des véhicules spécialisés pour l'industrie sidérurgique. Ralph rejoignit son fils en 1969. Le catalogue de la firme comprend aussi un tombereau à déchargement ventral conçu spécialement pour l'exploitation des mines de charbon. On voit ici un camion Kress CH-240 d'une capacité de 240 tonnes supporté par huit pneus. La charge est parfaitement répartie entre les quatre roues. Les roues avants pouvant pivoter à 85 degrés, elles permettent au camion d'effectuer des virages très serrés.

Lisez la suite :
Développement et évolution du camion-benne hors route
Deuxième partie



Dernière mise à jour : 4 novembre 2019

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